Comment représenter sur une page A4 et en moins de 10 minutes ce qu’est le marketing, la science des épidémies ou la philosophie de Spinoza ?
Nous croulons tous sous l’information et nous avons en même temps sans cesse besoin d’apprendre, de nous rappeler, communiquer, transmettre, trier. Il est donc critique d’avoir des méthodes pour représenter l’information de manière concise, efficace… et sans perte !
Mais comment faire la part entre l’important et le futile ?
Comment embrasser d’un coup d’œil les concepts-clés et leurs relations ?
Comment appréhender, comprendre et transmettre un sujet complexe ?
Je vais partager avec vous la technique que j’utilise pour y parvenir.
C’est une méthode issue de l’ingénierie logicielle (si, si). Elle permet de stocker un maximum d’informations en un minimum de temps, sur un minimum de surface.
Ça peut paraître compliqué au début, mais c’est en fait extrêmement simple… et efficace.
Cette méthode est en fait un langage de représentation, que j’ai détourné et simplifié. Donc comme tout langage, il a son vocabulaire, sa grammaire et sa sémantique :
C’est tout !
Souvenez-vous : cette méthode sert à représenter les concepts et leurs relations.
Donc que signifie tous ces signes ?
Numéro 1 : le concept B fait partie de la même famille que le concept A. Il hérite des mêmes propriétés et peut ajouter ses propres caractéristiques qui lui sont spécifiques (i. e. que n’a pas le concept A). Par exemple, une table est un meuble et à ce titre elle bénéficie des attributs d’un meuble : une table a un propriétaire et peut être déplacée. Mais une table a des caractéristiques qui lui sont propres et que n’ont pas tous les meubles : un plateau, des pieds, etc.
Numéro 2 : les concepts A et B sont simplement associés. Plus précisément, « 1..5 » veut dire que un A peut être lié à 1, 2, 3, 4 ou 5 concepts B (on parle de « cardinalité »).
Numéro 3 : le concept A est composé d’au moins 3 concepts B. Les concepts A et B sont là encore associés, mais il s’agit d’un lien de « composition ». Cela signifie que les termes de l’association sont plus restrictifs car B est une partie de A et ne peut appartenir qu’à un seul A en même temps. La notation « 3..N » a le même sens que précédemment, sauf que le 5 a été remplacé par « N » pour désigner n’importe quelle valeur.
Si ça vous paraît compliqué, pas de panique ! Vous allez tout comprendre avec l’exemple suivant.
Souvenez-vous : cette technique vous permet de représenter rapidement la totalité d’un domaine.
Exemple 1 : les véhicules
Bon… c’est juste un exercice un idiot pour récapituler avant d’attaquer avec de vrais exemples.
Voiture et vélo sont deux types de véhicule. Ils héritent des propriétés de ce qu’est un véhicule, mais sont plus spécifiques qu’un véhicule général.
Une voiture peut transporter entre 2 et 7 passagers (je me suis dit qu’au-dessus c’était plutôt un mini-bus…). Evidemment, une voiture a un volant et des roues.
Nous aurions pu mettre un unique lien de composition avec une cardinalité de 4 pour dire qu’une voiture était composée de 4 roues. Sauf que les roues d’une voiture n’ont pas le même rôle. Il y a la roue avant gauche, avant droite, arrière gauche et arrière droite. C’est ainsi qu’on représente les choses lorsqu’il est important de distinguer les rôles.
De l’autre côté, un vélo est composé d’un cadre, d’un guidon… et de deux roues qui ont chacune un rôle différent, comme pour la voiture.
Voilà !
Nous pouvons maintenant passer à des exemple réels.
Exemple 2 : le marketing
La carte ci-dessus n’a pas la prétention de résumer la totalité de ce qu’est le marketing !
Elle représente uniquement quelques relations entre le besoin et le produit. C’est une synthèse de diverses lectures, conférences et formations sur le sujet.
OK, comment lire cette carte ?
Commençons par le centre.
Un utilisateur recherche généralement un gain et fuit une souffrance (ou une peine), qui peut être plus ou moins prégnante.
Une souffrance est caractérisée par son type et il y existe trois grandes catégories de souffrance : émotionnelles (peur, anxiété, etc.), physiques (douleur physique, mort, etc.) et intellectuelles (manque de clarté, confusion, incompréhension, surcharge, etc.).
De même il y a trois types de gain.
Un gain peut par ailleurs être un bénéfice, un avantage ou une fonctionnalité (une fonctionnalité est une caractéristique d’un produit).
Note : comme un bénéfice est un gain, il est associé (comme tous les gains) à un type. On peut donc avoir des bénéfices émotionnels, physiques ou intellectuels…
Lorsqu’il est présenté à un utilisateur, le bénéfice d’un produit entraîne généralement l’approbation. Mais un avantage provoque souvent des objections. La mise en avant d’une fonctionnalité du produit entraîne quant à elle une sensibilité du client au prix (c’est pourquoi il est inutile d’insister sur les fonctionnalités lorsque vous voulez vendre un produit cher).
Un produit permet un usage et c’est cet usage qui présente des avantages. On a donc une bonne définition du concept d’avantage : c’est un gain pour l’utilisateur, lié à l’usage du produit !
Si on remonte dans le schéma, on lit qu’un utilisateur a un besoin. Et ce besoin est de fuir une souffrance ou d’avoir un bénéfice (pas des avantages ou des fonctionnalités). Pour répondre à son besoin, un utilisateur veut un résultat… qui comble son besoin.
Le résultat fournit de la valeur sous la forme d’utilité lié à l’usage du produit.
C’est cette valeur qui correspond au bénéfice attendu (dans le meilleur des cas).
Le résultat est donc l’effet de l’usage du produit.
Tout en haut du schéma : la souffrance et le gain sont des facteurs de motivation.
Note : la motivation n’est pas forcément une motivation pour acheter. Ce peut être une motivation pour s’engager pour une cause, faire un voyage, etc. Bref, tout ce qui constitue une prise de décision. Le concept de produit ne recouvre donc pas forcément un produit marchand, mais un objet de besoin.
La motivation peut elle-même être amplifiée par des multiplicateurs de motivation que sont l’intensité ou l’urgence (ce n’est pas exhaustif). Par exemple, si vous avez une rage de dent vous ne trainerez pas pour aller rendre visite à votre dentiste préféré. Ou si vous n’en pouvez plus de votre boulot, vous allez en chercher un autre, etc.
Exemple 3 : propagation d’une épidémie
La carte qui suit est le résumé partiel de l’excellent livre « Le point de bascule » de Malcolm Gladwell.
Avant de présenter la carte, il est intéressant de placer le contexte du livre.
Le propos de Malcolm Gladwell est simple : énormément de phénomènes de société fonctionnent comme des épidémies.
L’auteur commence donc par analyser la mécanique des épidémies virales. Puis il démontre tout un tas de phénomène sociaux, culturels ou politiques suivent les mêmes règles (cf. modes, mouvements révolutionnaires, …).
Le livre explique par exemple en quoi l’explosion soudaine du crime à New-York dans les années 70 fut semblable à la dissémination d’un virus. Mais c’est aussi le cas de la baisse brutale de la criminalité quelques décennies plus tard. Cette baisse n’a pas été le fruit des seules politiques de répression (qui avaient déjà eu lieu avant). Elle fut la conséquence d’un certain nombre de facteurs, d’influences qui se sont rencontrés dans un contexte particulier.
Les concepts-clés du livre recoupent donc les termes de l’épidémiologie : virus, vecteur, canal de propagation, etc. Mais ils sont enrichis de l’analyse de l’auteur. Dans le modèle que finit par adopter Malcolm Gladwell, le mot « virus » est par exemple remplacé par « information » et le terme « vecteur » par « message ».
Que dit cette carte ?
Malcolm Gladwell identifie trois rôles-clés, qu’il appelle « maven », « connecteur » et « vendeur ». Les individus qui tiennent ces rôles sont des déclencheurs du phénomène épidémiologique (que ce soit une épidémie « réelle » au sens médical du terme ou un phénomène de mode).
Que font ces rôles ?
Le connecteur est celui qui possède un réseau (un ou plusieurs pour être plus précis, étant donné la cardinalité « 1..N »). Un réseau comporte des membres.
Le connecteur déclenche la diffusion d’un message via un ou plusieurs canaux. Chaque canal touche des destinataires du message.
Le vendeur est celui qui possède un pouvoir d’influence capable de convaincre les destinataires.
Le maven est celui qui détient la connaissance sous forme d’information (c’est un expert ou un spécialiste). C’est aussi lui qui fournit le message.
Le message est ce qui porte l’information, qui cible des destinataires.
Mais l’épidémie véritable n’est possible que si un autre personnage d’influence joue son rôle : l’autorité. C’est celui qui va définitivement entraîner l’adhésion en autorisant (souvent moralement) les destinataires à accepter le message.
Conclusion : si vous voulez lancer une marque et que vous voulez la rendre virale, vous devez vous entourer d’un maven, d’un vendeur et connecteur et vous appuyez sur une autorité !
Vous voyez que ce type de représentation rend la restitution très simple.
Exemple 4 : la philosophie de Spinoza
Bon… là c’est clairement une autre paire de manche ! Spinoza est réputé pour être un des philosophes les plus compliqué à appréhender. Et c’est vrai que quiconque s’est frotté à l’Ethique (son œuvre majeure) a pu s’apercevoir à quel point c’est compliqué…
Mais nous avons de la chance : Spinoza est d’une rigueur à toute épreuve. Il a donc poussé à l’extrême la définition de ses idées. Chaque mot a un sens unique et les relations entre les concepts sont clairement posées.
Voilà la carte qui résume une partie de la philosophie de Spinoza :
(Note : pour les puristes, je sais qu’il manque tout un tas de concepts importants tels que le bon, le mauvais, le désir, le conatus, etc.)
Maintenant décrivons le modèle en commençant par le haut…
Tout ce qui existe (les êtres vivants et les objets), existe suivant deux modes : le mode de l’étendue et le mode de la pensée. (Pour faire vite, l’étendue est tout ce qui a une existence spatiale.)
L’étendue et la pensée sont deux attributs de l’Être (ou la Substance ou Dieu, c’est équivalent pour Spinoza). Evidemment, l’Être a une infinité d’attributs, mais seul l’étendue et la pensée nous sont connus (c’est triste).
Tant que nous existons, nous sommes des « étant », constitués d’un corps et d’une âme.
Dans le mode de l’étendue, il y a tous les objets, les animaux et les individus. Donc notre corps est un cas particulier (« type de ») mode de l’étendue.
Idem pour notre âme.
Donc corps et âme, même combat. C’est la même chose, suivant deux modes différents. Ce sont juste des instanciations à un moment donné de deux attributs de Dieu. Comme deux perspectives différentes de la même chose…
Continuons…
Parmi les modes de la pensée, il y a les idées et les affects.
Et une idée peut en réalité être trois choses :
- Soit une idée d’affection – une affection étant juste l’effet de quelque chose sur nous ;
- Soit une « notion commune » (c’est-à-dire un rapport entre deux choses) ;
- Soit une essence.
L’essence n’est pas « l’essence de l’Homme », mais l’essence unique propre à chaque individu. C’est l’expression en acte de notre manière d’être au monde, individuelle et sensible. C’est ce que nous sommes.
Notre essence est équivalente à notre « puissance d’agir » qui correspond… à tout ce qu’on peut au moment présent. (Quand vous avez 40°C de fièvre, vous pouvez moins que quand vous pétez le feu. Donc quand vous êtes malade votre puissance d’agir diminue.)
Justement, une variation de puissance d’agir est ce que Spinoza appelle un affect.
Une affection est un effet sur notre corps et une idée d’affection est la perception mentale de cet effet. Nous ne pouvons percevoir le monde qu’à travers notre corps (c’est pour ça que l’âme est l’idée du corps).
Spinoza distingue deux types d’affects fondamentaux : la joie et la tristesse (et tous les autres affects secondaires en découlent : le bonheur, l’exaltation, la motivation, la douleur, la colère, la jalousie, etc.).
La joie est ce qui augmente notre puissance d’agir (e. g. nous lisons un livre qui nous fait avancer dans notre compréhension de l’univers). La tristesse est ce qui fait baisser notre puissance d’agir (la fièvre qui monte… et nous empêche de lire ce livre formidable).
Autre grosse idée-clés de Spinoza : les genres de connaissance.
Spinoza en distingue trois :
- Le 1er genre de connaissance. C’est la connaissance des effets des choses sur notre corps (sans connaitre les causes). Le 1er genre concerne donc les idées d’affection. Par notre nature, nous sommes condamnés à errer dans ce 1er genre. Certains y restent toute leur vie et d’autres arrivent à entrer dans les autres genres. Seule l’expérience éclairée et le désir d’apprendre peuvent nous en sortir ;
- Le 2ème genre de connaissance. C’est la connaissance des causes, c’est-à-dire des rapports entre les choses ou les phénomènes. Le 2ème genre porte donc sur les notions communes. Connaitre les causes c’est prendre conscience du fonctionnement de l’univers (interactions humaines, sciences, politique, économie, etc.) ;
- Le 3ème genre de connaissance. C’est la connaissance de l’essence. Soyons clair, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est un peu le niveau Jedi de l’existence et ce devrait être le but d’une vie (selon Spinoza). Connaitre son essence c’est être parvenu, après avoir suffisamment compris de choses, à intensifier son existence de telle manière qu’on a pu illuminer positivement autour de nous. Bref, on a développer sa puissance d’agir tout en respectant les interactions du monde – ainsi soit-il. :P
Encore une fois, vous voyez que le type de représentation concepts-relations permet de synthétiser un très grand nombre d’informations (même complexes) sur très peu de place et facilite la restitution !
Conclusion
Comme vous l’aurez compris, cette méthode n’est évidemment adaptée que si le sujet est… conceptuel (ce qui est quand même le cas de beaucoup de domaines). Vous pouvez bien sûr coupler l’approche avec de la prise de notes « traditionnelle », ce qui permet d’ajouter tout un tas d’informations difficiles à faire porter par le type de schéma présenté ici.
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